L’intelligence économique au Sénégal

L’antenne du Centre d’Etudes Diplomatiques et Stratégiques, dirigée par Babacar Diallo, a organisé le jeudi 27 novembre à Dakar un séminaire sur l’intelligence économique. Cette manifestation est la première du genre en Afrique subsaharienne. Quelques tentatives d’ordre privé avaient été initiées ces dernières années notamment à partir de Paris sans aboutir à des résultats significatifs car il manquait l’implication d’un pays africain au plus haut niveau de l’Etat. Le Sénégal est donc le premier pays d’Afrique à avoir décidé d’entreprendre une réflexion sur sa sécurité économique et sur le développement de certaines activités économiques par le management de l’information. Les incidents avec les pêcheurs sud-coréens dans sa zone côtière, les risques liés à la crise financière et les attentes dans le domaine agricole ont sans doute été à la source de cette décision prise depuis quelques mois par le Président Abdoulaye Wade.



C’est le secrétaire général de la Présidence de la République sénégalaise, Abdoulaye Baldé, qui a introduit les débats devant un parterre de 200 personnes représentant les principaux ministères et administrations du pays. L’objectif de cette journée et des discussions préliminaires qui la précédaient, était de tester la réaction de l’appareil d’Etat sénégalais sur la manière de ne pas devenir une économie dépendante des stratégies extérieures conçues par des puissances en position offensive ou de multinationales au comportement particulièrement prédateur.

Les questions posées et surtout les commentaires apportés par le public ont démontrés qu’il existe en Afrique des responsables déjà sensibilisés sur ces questions et très attentifs à l’évolution des rapports de force économique. Si je compare les différentes conférences que j’ai pu tenir à Alger, à Tunis ou à Beyrouth au cours de ces dernières années, j’ai été surpris par le niveau des interventions sénégalaises. Il n’y a guère qu’au Maroc où j’ai rencontré une sensibilisation aussi avancée. Mes nombreuses discussions avec les représentants de la jeune génération de cadres formées en France m’ont une fois de plus démontré l’incapacité des groupes industriels français présents dans la zone à être attentifs à leur image qui semble négative. Ces groupes pourtant bien implantés, comme Orange par exemple, donnent encore trop souvent l’impression de prendre de la richesse et de ne pas créer des rapports gagnants/gagnants avec un pays resté très proche de la France. Il ne faut pas non plus s’étonner de l’attitude de certains membres du corps diplomatique français, figés dans les inerties culturelles déjà évoquées entre les lignes du rapport Martre. La stratégie du paraître auquel le pouvoir politique a cantonné le Quai d’Orsay depuis un siècle et demi aboutit au cul de sac de la « Francafrique » et au recul continu de nos positions en Afrique de l’Ouest. Mais le refrain ne change pas et à l’air du tout va bien Madame la Marquise, on continue à se gausser dans les sempiternelles réceptions officielles sans accorder la moindre importance aux synergies publiques privées que développent les pays anglo-saxons ou Israël dans la zone. Combien de terrain faudra-t-il encore perdre pour faire le bilan d’une absence de stratégie de la France sur l’Afrique depuis le Général de Gaulle ?

Les donneurs de leçon sur la bonne gouvernance n’ont guère plus d’efficacité lorsqu’on fait un état des lieux des priorités. Comme n’importe quel pays, le Sénégal doit aujourd’hui prendre en compte les enjeux du développement à travers une grille de lecture qui diffère des discours langue de bois sur la coopération. Les élites locales ont un sens du réalisme aussi aiguisé que le nôtre sur le sens caché des manœuvres des pays étrangers sur le continent africain. A ce titre, la France n’est plus le pays le plus prédateur. Et ce constat ouvre de nouvelles perspectives de dialogue et d’alliance dans les domaines économiques et culturels.

L’incapacité des autorités administratives françaises à attribuer des visas ciblés pour éviter le déplacement massif des enfants des élites vers d’autres zones géographiques apparaît comme un acte élémentaire de stratégie de puissance dont la France est incapable pour l’instant. Il en est de même pour la francophonie qui reste une aire de mouvement stérile à la différence du Commonwealth. Les Présidences Mitterrand et Chirac ont été stériles en idées d’action concrètes et se sont limitées à une politique d’entretien des relations linguistiques sans y intégrer la moindre dimension géoéconomique. Le Québec nous a pourtant démontré que c’était possible mais trop de responsables français continuent à penser nos relations avec l’Afrique en termes de financement occulte de leur parti ou de liens privilégiés avec des personnes. Les Africains que j’ai rencontrés lors de ce voyage d’enquête reconnaissent que 80% des propos du discours du président Sarkozy étaient pertinents mais que ce dernier n’a pas su trouver les mots pour légitimer son message.

Que l’Ecole de Guerre Economique soit sollicitée dans cette démarche pour aider à la naissance d’un établissement panafricain d’intelligence économique et stratégique (dont les premiers cours vont commencer au début de 2009) est significatif d’un changement de perception mais aussi la volonté de tenter de travailler efficacement sur des chemins partagés de la connaissance. Cette coopération d’un nouveau type s’ajoute à celle que l’EGE a nouée avec l’école royale marocaine à Rabat au sein de laquelle une formation continue débutera à partir de janvier 2009. Et ce n’est pas tout-à-fait un hasard si on tient compte des relations étroites que le Maroc et le Sénégal entretiennent depuis de nombreuses années.

Paru dans Edito (01-12-2008)